Introduction : Dans les études de phase I et I/II, la recherche de dose et les analyses pharmacocinétiques/pharmacodynamiques (PK/PD) sont généralement effectuées séparément même si les données sont récoltées au cours du même essai clinique [1]. Intégrer avec la PK/PD les mécanismes biologiques d'action du médicament dans la modélisation de la toxicité pourrait améliorer le taux de succès des essais cliniques de phase précoce.
Objectif : Notre objectif était d'examiner comment les données de PK peuvent être intégrées de manière prospective dans des designs bayésiens existants pour évaluer la toxicité et déterminer la dose à recommander. De plus, nous avons voulu comparer les performances de ces méthodes pour l'estimation de la toxicité et la détermination de la dose maximale tolérée (DMT), ainsi que leur robustesse face à des problèmes de mauvaise spécification du modèle PK ou de la mesure d'exposition, à travers divers scénarios de simulation.
Méthodes : À la suite d'une revue narrative de l'état de l'art, trois approches bayésiennes intégrant la PK dans l'identification de la DMT et l'estimation de la toxicité ont été sélectionnées. PKLOGIT [2] combine deux modèles bayésiens distincts pour établir une relation complète entre la dose, la mesure PK d'exposition et la toxicité. La dose est liée à une mesure d'exposition via une régression linéaire normale, qui approxime le logarithme de l'aire sous la courbe des concentrations (log AUC), avant de mettre en relation cette mesure d'exposition avec une probabilité de toxicité via une régression logistique. La méthode ED(-EWOC) [3], similaire à PKLOGIT, modélise également une relation dose-exposition-toxicité, mais utilise des données de concentration longitudinales du médicament pour estimer un modèle PK populationnel reliant la dose au log AUC. La troisième approche, TITE-PK [4], repose sur des profils PK latents pour mesurer l'exposition au médicament, et la probabilité de toxicité à chaque dose est calculée via une analyse du délai avant la survenue de la première toxicité limitant la dose (TLD). À titre de comparaison, une méthode ne reposant sur aucune modélisation PK, reliant directement la dose à la toxicité, appelée BLRM [5], est utilisée comme référence. Plusieurs scénarios de simulation ont été implémentés, chacun reflétant une hypothèse sur la position de la DMT et pour certains, des erreurs de spécification de la mesure PK d'exposition ou du modèle structural PK sous-jacent sont introduites. Les différentes méthodes de recherche de dose ont été comparées selon la probabilité de sélection correcte de la DMT, le pourcentage d'allocation de chaque dose, le nombre de TLDs, et la probabilité estimée de toxicité à chaque dose.
Résultats : D'après nos simulations, les méthodes de recherche de dose intégrant la PK ont démontré des performances contrastées en fonction de la position de la DMT dans l'éventail de doses étudiées. PKLOGIT a rencontré des difficultés à sélectionner la correcte DMT pour les faibles doses, comme BLRM, entraînant fréquemment l'interruption des essais conformément à la règle d'arrêt si toutes les doses sont trop toxiques. ED-EWOC a efficacement évité le surdosage quand la DMT est une faible dose tout en ayant un haut pourcentage de sélection de la correcte DMT, tandis que ED a obtenu de meilleurs résultats pour les DMTs élevées. ED(-EWOC) s'est avéré prometteur, notamment en présence de mauvaises spécifications du modèle PK ou de la mesure d'exposition, surpassant de manière significative toutes les autres méthodes pour l'estimation de la probabilité de toxicité de chaque dose, mais s'est généralement avéré inférieur à TITE-PK pour la sélection correcte de la DMT. TITE-PK a donné des résultats consistants à travers les différents scénarios testés, à l'exception des scénarios de faibles DMTs et de mauvaise spécification. Cependant, lorsque toutes les doses étaient trop toxiques et que l'essai clinique devait être arrêté prématurément, TITE-PK a souvent recommandé à tort la première dose comme DMT.
Conclusion : Les approches intégrant des données PK se sont avérées au moins aussi performantes que BLRM pour l'identification précise de la DMT, tout en la surpassant pour l'estimation des probabilités de toxicité, mettant ainsi en lumière la valeur ajoutée de la PK dans la compréhension de la relation dose-réponse. Ces méthodes ont également démontré une certaine robustesse face à une mauvaise spécification du modèle PK et/ou de la mesure d'exposition.
Références :
[1] Comets, E. & Zohar, S. (2009), A survey of the way pharmacokinetics are reported in published phase i clinical trials, with an emphasis on oncology, Clinical pharmacokinetics 48, 387–395.
[2] Ursino, M., Zohar, S., Lentz, F., Alberti, C., Friede, T., Stallard, N. & Comets, E. (2017), Dose-finding methods for phase I clinical trials using pharmacokinetics in small populations, Biometrical Journal 59(4), 804–825.
[3] Micallef, S., Sostelly, A., Zhu, J., Baverel, P. G. & Mercier, F. (2022), Exposure driven dose escalation design with overdose control: Concept and first real-life experience in an oncology phase i trial, Contemporary Clinical Trials Communications 26, 100901.
[4] Günhan, B. K., Weber, S. & Friede, T. (2020), A Bayesian time-to-event pharmacokinetic model for phase I dose-escalation trials with multiple schedules, Statistics in Medicine 39(27), 3986–4000.
[5] Neuenschwander, B., Matano, A., Tang, Z., Roychoudhury, S., Wandel, S. & Bailey, S. (2015), ‘A Bayesian industry approach to phase I combination trials in oncology', Statistical methods in drug combination studies 2015, 95–135.
Remerciements : Cette étude a été financée par une subvention de l'Inserm et du Ministère français de la Santé (MESSIDORE 2022, référence Inserm-MESSIDORE n° 94).